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Interview de Serge Denoncourt

Serge Denoncourt a beau être né à « six heures d’errance » comme le chante Michel Sardou dans Maudits Français, le québécois est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer l’artiste aux cent millions de disques vendus :

« Chez nous, comme en France, on a toutes ses chansons dans le cœur, confirme l’auteur du livret et le metteur en scène du spectacle. Peut-être qu’on connaît moins bien l’homme et ses prises de parole, mais notre vie a également été ponctuée par ses succès. Sardou, même de l’autre côté de l’Atlantique, il a toujours été là ! » Denoncourt, lui aussi, est bien là.

Après le succès de Bernadette de Lourdes, celui qui affiche cent-quarante spectacles au compteur s’attaque à l’œuvre du dernier monstre sacré de la chanson française. Avec un mélange d’humilité et d’ambition. Comme une sensation de première fois…

Auriez-vous pensé, un jour, être à la tête d’un tel projet autour de l’œuvre de Michel Sardou ?

Absolument pas ! Pour vous dire, ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. Sardou, je le connaissais – si j’ose dire – comme tout le monde, mais je n’étais pas un fan inconditionnel. Quand Roberto Ciurleo, le producteur, m’a approché pour m’en parler, j’ai été très honnête avec lui. Je lui ai répondu, le plus franchement du monde, que je ne pensais pas être la bonne personne pour mener ce projet à bien. Et puis, il m’a envoyé un document qui comprenait l’intégralité du répertoire de Michel Sardou : deux cent soixante-sept chansons ! Par conscience professionnelle, je les ai toutes écoutées… et je dois dire que j’ai été très agréablement surpris ! J’ai retrouvé les tubes que j’avais aimés, découvert des chansons que je ne connaissais pas, et redécouvert d’autres que j’avais oubliées. Tout à coup, j’ai été très inspiré par cette œuvre.

Justement, sauriez-vous définir ce qui vous a tant inspiré dans ce vaste répertoire ?

En premier lieu, peut-être, les chansons que je ne connaissais pas et qui, pour beaucoup d’entre elles, sont de très grandes chansons – à la fois magnifiquement interprétées et formidablement écrites. Sardou, c’est un acteur et un auteur…

Un auteur qui, presque systématiquement, écrit à la première personne. Dans ses chansons, il mélange le jeu et le je, ce qui a d’ailleurs pu créer un trouble parmi le public, qui a souvent associé l’homme à ses textes…

Je crois qu’il s’est toujours amusé à créer des personnages, qui n’étaient pas forcément proches de lui-même : un homme trompé, un homme qui découvre son homosexualité, ou encore un homme qui se fait kidnapper. Là, je fais référence à une chanson qui a pour titre Le prix d’un homme – que je n’avais jamais entendue ! Pour moi, c’est une pièce de théâtre résumée en trois minutes trente ! Un morceau formidable !

Elle fait partie des « faces B » de son répertoire ; ces chansons que les fans adorent…

Les producteurs souhaitaient une majorité de tubes, c’est normal. Pour ma part, je dois bien dire que ce qui m’a le plus enthousiasmé, c’est de découvrir des chansons et de réussir à écrire une histoire autour d’elles. Avec Je vais t’aimer, on n’est pas dans le modèle français de la comédie musicale. Ici, c’est la chanson qui fait avancer l’action. L’œuvre de Michel Sardou offre cette perspective, et je pense d’ailleurs qu’il est l’un des rares auteurs français dont l’écriture permet un tel procédé. Quand j’ai écouté les chansons, des flashs me sont apparus instantanément ! J’ai visualisé le spectacle en tant que metteur scène. Et j’ai eu envie d’en faire profiter l’auteur, qui est un type que je connais bien… (rires)

Et pour cause… c’est vous ! Cette double casquette d’auteur-metteur en scène, c’est une lourde responsabilité ?

Je l’ai fait sur Bernadette de Lourdes en essayant, déjà, d’amener ce côté un peu anglo-saxon. Mais, pour répondre à votre question de manière directe ; c’est une responsabilité, bien sûr. Être à la manœuvre sur toutes les étapes artistiques de ce projet, de l’écriture à la mise scène, en être le garant de la première à la dernière note, c’est très excitant. Ça me convient parfaitement car, si je me trompe et que le spectacle n’est pas à la hauteur, je ne pourrai m’en prendre qu’à moi-même. Vous savez, je suis un auteur qui est au service du metteur scène. Et, ici, j’ai toute la latitude pour faire le spectacle dont je rêve, celui dont je serai fier…

Parlez-nous du récit que vous avez imaginé à partir des chansons de Michel Sardou…

Avant tout, je tiens à rappeler que c’est un spectacle théâtral qui raconte une histoire, et que cette histoire n’a rien à voir avec la vie de Michel Sardou. Il a donné son accord pour que ce projet voit le jour ; aurait-ce été le cas si nous avions proposé un spectacle sur sa vie ? Pas sûr. Revenons-en au récit, qui débute le jour de l’inauguration du France. Les personnages, qui sont de jeunes français, sont tous présents sur le bateau. Ensuite, nous allons les suivre sur plusieurs décennies et plusieurs continents. Leur histoire croise celle d’un pays : mai 68, la grève sur le France, les changements de Président, etc. À travers le destin de ces jeunes gens, on suit celui de la France et des français. En somme, on raconte la vie des Français via la bande originale de leur existence…

D’aucuns considèrent Michel Sardou comme le haut-parleur de la société française depuis plus de cinquante ans…

C’est pourquoi je me suis appuyé, aussi, sur ses chansons engagées, celles dans lesquelles il a pris position. Elles collent parfaitement au tempérament des personnages que vous allez découvrir. Les chansons plus romantiques, plus sociales, plus politiques ont été attribuées en fonction des personnalités de chacun des rôles principaux. Ça a été un travail passionnant ! Vous verrez, ces personnages auront des interactions, et même s’ils viennent d’univers différents, leurs destins seront étroitement liés. Ils vont se trahir, s’aimer, se déchirer. C’est une véritable saga.

Vous évoquiez une temporalité audacieuse, sur plusieurs décennies. C’est un défi ?

Pour le metteur en scène, définitivement ! Pour l’auteur, c’était amusant à construire. Sur scène, cela signifie que les artistes vont devoir jouer leurs personnages à vingt ans… jusqu’à cinquante-huit ans ! Il y a un immense enjeu de direction d’acteurs, de choix des costumes, de maquillage, etc. Le défi, c’est d’être crédible. Ce sont des équations à résoudre, mais je dois dire que ce sont des choses que j’ai déjà visualisées dans ma tête. En l’écrivant, le spectacle m’apparaissait.

Puisqu’on parle de défi, vocalement, celui d’être à la hauteur de Michel Sardou en est un. La spécificité de sa voix, c’est qu’elle dispose d’une étendue assez rare. Vertigineuse, même, pour ceux qui devront interpréter ses chansons…

Le processus d’audition est un moment qui va être décisif. Nous cherchons de belles voix, de grandes voix, qui devront reposer sur un mélange de technique et d’émotion… mais ce n’est pas tout ! Nous cherchons aussi des acteurs de talent. Il y a beaucoup de place pour le jeu, notamment entre les chansons. Vous savez, il y a un mensonge qui court sur les interprètes français. On dit souvent qu’ils peuvent chanter mais pas jouer. Quand j’ai travaillé sur Bernadette de Lourdes, je me suis aperçu que c’était totalement faux. Ils peuvent le faire, sauf qu’on ne le leur demande jamais. Dans Je vais t’aimer, le jeu et le chant seront intimement mêlés…

Pouvez-vous nous dire un mot des décors…

C’est un spectacle qui va nous faire voyager de Paris à New York, de New York jusqu’au France. Et, aussi, dans le temps, puisque l’histoire débute en 1962 – époque tailleur rose de Jackie Kennedy – et qu’elle s’étire jusqu’au début des années 2000. Évidemment, on va se servir de l’aspect visuel pour raconter cette histoire. Il y a un défi de changement rapide, que ce soit dans les décors, l’ameublement, les accessoires, les costumes. C’est assez complexe, mais c’est surtout passionnant !

À qui s’adressera ce spectacle ?

À tout le monde ! Vous savez, je pars du principe qu’un bon spectacle s’adresse à tous. Et, croyez-moi, ma volonté est que nous réalisions le meilleur spectacle possible : le plus complet, le plus touchant, le plus amusant, le plus impressionnant. Là-dessus, une véritable confiance m’anime. L’idée, c’est d’emporter tout le monde – même ceux qui entreront dans la salle avec un a priori négatif. Les fans de Michel Sardou viendront, pour aimer ou pour détester, c’est la règle. Ce qui est assez paradoxal, c’est que j’ai sincèrement envie de faire plaisir à cette frange – importante – du public qui a suivi l’artiste pendant plusieurs décennies, mais je m’empêche de trop y penser. En tant qu’auteur et metteur en scène, il m’est essentiel de créer de la façon la plus libre, en donnant le maximum de moi-même pour mener à bien ce magnifique projet…

Et à Michel Sardou, vous y pensez ?

Encore moins (rires) ! On connaît le personnage et cette façon très tranchée qu’il a de s’exprimer. Cela dit, je trouve qu’il a été très chic avec nous, en nous donnant carte blanche dans l’écriture et le choix des chansons. Le respect de son œuvre, c’est ma mission première. Mais non, j’évite de penser à lui ; je crois que ça me paralyserait (rires) ! En fait, je mets en scène Sardou, sans penser à Michel.